jeudi 27 janvier 2022

10i-"L'atelier de Léon Cogniet", par sa soeur, Marie-Amélie

Étude de deux toiles de Marie-Amélie Cogniet représentant l’atelier de Léon Cogniet.

Par Jean-Louis Gautreau 

Au printemps 1892, 16 caisses, contenant 1 240 dessins et 167 peintures, furent déposées au musée des Beaux-Arts d’Orléans. Il s’agissait de l’important legs Cogniet-Thévenin : les donatrices étaient Caroline Cogniet, née Thévenin (épouse du peintre Léon Cogniet, Grand Prix de Rome), et sa sœur, Rosalie Thévenin.  Il rassemble des œuvres majeures de Léon Cogniet, mais également de sa sœur, Marie-Amélie, ainsi que de Caroline et Rosalie.  De nombreuses études des élèves du Maître figuraient aussi dans ce legs. Cet ensemble joua un rôle déterminant dans la constitution du fonds de peinture du XIXe siècle du musée.

Nous allons étudier deux petites toiles de Marie-Amélie Cogniet, actuellement exposées dans la salle 23 du musée d’Orléans.

Les peintres

Marie-Amélie Cogniet (1798-1869) était une artiste peintre, à la fois sœur et élève du peintre et professeur d'art Léon Cogniet. Elle a été sa principale assistante.

En 1831, elle exécute des vues du grand atelier parisien de son frère, installé au no 9, rue de la Grange-aux-Belles (10e arrondissement, près du canal Saint-Martin). Dans cet espace de grandes dimensions, Marie-Amélie a choisi de montrer son frère en train de travailler à une commande officielle destinée à un plafond du musée du Louvre.

Entre 1840 et 1860, Marie-Amélie anima également, un atelier de femmes sous la direction de son frère qui dirigeait principalement l'atelier des hommes. Très fréquenté, cet atelier féminin était au no 50, rue des Marais-Saint-Martin (la rue a en grande partie disparu, elle était située de l’autre côté du canal), Par ailleurs, Marie-Amélie a exposé aux Salons de 1831 à 1843.

Plus tard, l'atelier des femmes sera dirigé par Rosalie Thévenin (1813-1892), une élève du Maître, qui épousera tardivement Léon Cogniet en 1865. Ce dernier avait 70 ans.

Il est aussi probable que ces deux femmes ont été des collaboratrices du peintre pour certaines grandes compositions.

Léon Cogniet (1794-1880) entre à l’école des Beaux-Arts de Paris en 1812. Il étudie avec Pierre-Narcisse Guérin (1774-1833 – Prix de Rome en 1797), et devient l’ami de Théodore Géricault, Eugène Delacroix, Ary Scheffer, Henry Scheffer, Jean Alaux, etc.

Après deux échecs, en 1815 (« Briséis pleurant Patrocle » ou « Briséis, rendue à Achille, découvre dans sa tente le corps de Patrocle » – musée d’Orléans), et en 1816 (« Oenone refusant de secourir Pâris » - musée de Fécamp), il remporte le Grand Prix de Rome de Peinture d’Histoire en 1817, avec « Hélène délivrée par Castor et Pollux » (Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris). Il part à la villa Médicis à Rome en compagnie du peintre Achille-Etna Michallon (1796-1822), lauréat, cette même année, du Grand Prix de Rome du Paysage historique, nouvelle catégorie du concours, créée en 1816. .

Léon Cogniet reste pensionnaire de l’Académie de France à Rome de 1817 à 1822.

A son retour en France, il participe aux salons de peinture avec succès, et reçoit des commandes officielles. Il ouvre un atelier, fréquenté par de jeunes artistes,

1 - Marie-Amélie Cogniet (1798-1869) : Léon Cogniet dans son atelier (c. 1831). Huile sur toile. 46 x 38 cm (sans le cadre)

Description des deux tableaux

Ces deux petites toiles présentent un intérêt documentaire exceptionnel. Elles montrent, avec une grande fidélité, et sous deux angles différents, l’atelier personnel du Maître. Elles illustrent aussi l’atmosphère d’un atelier d’artiste de renom qui prépare des élèves au concours du Grand Prix de Rome.

1-Premier tableau. Composition verticale

Le tableau montre la grande verrière, généralement orientée au nord, qui éclaire l’atelier. Au centre de la toile, Léon Cogniet, vêtu d’une redingote verte à col noir, est assis sur un plan incliné. Il porte des lunettes. Il est dans une attitude de réflexion et semble contempler quelque chose (probablement l’une de ses toiles) hors cadre. Derrière lui, une échelle permet d’accéder à un rebord situé au niveau de la verrière, afin de pouvoir régler l’intensité de la lumière à l’aide de toiles. A droite de la composition, on reconnaît la Vénus de Médicis, en plâtre, posée sur un poêle en faïence blanche. Devant les pieds de la Vénus, on remarque un buste en plâtre d’Homère.

Dans l’angle inférieur droit, une étude pour le portrait du Maréchal Nicolas Joseph Maison, est posée contre le poêle. En 1829, Léon Cogniet a reçu la commande de ce portrait en pied, afin d’orner la salle des Maréchaux au Palais des Tuileries (détruit en 1871). Une petite esquisse du tableau final est conservée dans la salle 23 du musée d’Orléans.

Au fond de l’atelier, Marie-Amélie, en robe bleue, peint une toile posée sur un chevalet. Derrière elle, on remarque un petit cabinet fermé par une porte jaune. On peut imaginer qu’il contient un lit de repos. Un escalier de bois permet de monter sur le toit du cabinet où sont disposés des plâtres d’art. Sur le mur du fond, on distingue quatre petites études de nus. A gauche de la verrière, une ouverture donne peut-être accès à une terrasse. 

2 - Marie-Amélie Cogniet : Intérieur de l’atelier de Léon Cogniet en 1831 (1831). Huile sur toile. 33 x 40,2 cm

2-Second tableau. Composition horizontale

Même atelier, un autre jour. A gauche, Léon Cogniet, en blouse blanche et pantalon gris à rayures, se tient debout sur une petite caisse ; il est appuyé contre l’échelle qui mène à la verrière. Un pinceau à la main, il a pris du recul pour contempler la grande toile ébauchée sur laquelle il travaille : « L’Expédition d’Egypte sous les ordres de Bonaparte », destinée au plafond de la salle des papyrus et des manuscrits grecs du musée Charles X, au Louvre. Commandée en 1828, cette toile (3,76 x 5,80 m) sera livrée en 1835. 

Marie-Amélie est assise devant la toile, elle porte une robe et une coiffure à la mode romantique. Elle tient aussi un pinceau, et regarde son frère, attendant ses ordres ou ses indications. Elle est peut-être chargée d’ombrer le dessin porté sur la toile, afin de mettre en place les volumes.

Sur le côté droit, apparaît l’amorce d’une grande toile encadrée.

A l’arrière plan, un élève, assis devant un chevalet, copie un portrait du Maître. A l’extrême gauche, un jeune apprenti surgit dans la composition. Au premier plan, un élégant manteau rouge à doublure rose, appartenant à Marie-Amélie, est jeté négligemment sur une chaise.

L’arrière-plan de l’atelier est très intéressant. On retrouve le poêle en faïence surmonté de la Vénus Médicis. Une vingtaine de petites toiles sont rassemblées autour d’une horloge (dans une monture ronde et rouge) qui rythme la vie de l’atelier. Les toiles sont les pochades de paysages ou de portraits que le peintre a rapportées de son séjour en Italie.

La grande table est couverte de feuilles de papier d’où émerge un petit cheval blanc. A droite de la Vénus, appuyée contre une pile de dessins, une petite peinture est identifiable, c’est l’« Etude d’Oriental » de Michallon (collection du musée d’Orléans).  Deux cartons bourrés de dessins sont appuyés contre la table.

Sur le mur, la grande toile représente « Caïn et Abel ». Cette œuvre de Léon Cogniet n’est pas localisée, mais le musée possède plusieurs études préparatoires. Sous le cadre, un petit plâtre est suspendu. Selon un correspondant du musée, il est possible que ce soit le masque mortuaire de Théodore Géricault. Ce peintre, décédé prématurément en 1824, était un ami proche de Léon Cogniet. En effet, quelques années après sa mort, le masque mortuaire de Géricault fit l’objet d’une véritable vénération de la part des artistes, qui en accrochaient fréquemment un exemplaire dans leurs ateliers.

Masque mortuaire de Géricault. Plâtre

A gauche, on découvre un autre cabinet semblable à celui du premier tableau, il occupe l’angle opposé de la pièce. La porte est ouverte. Sur le mur du cabinet, on reconnaît une esquisse de la toile qui a permis à Cogniet d’obtenir le second prix au concours de 1815 (« Briséis pleurant Patrocle »). Des plâtres d’art sont rassemblés au-dessus du cabinet, parmi lesquels on distingue la tête de l’un des « esclaves » de Michel-Ange.   


L’atelier de Léon Cogniet - Préparation au concours

Dans l’atelier de Léon Cogniet, comme dans tous les ateliers d’artistes importants, les élèves apprenaient à travailler selon des méthodes académiques:

-d’après des moulages en plâtre de sculptures antiques célèbres. La pratique du dessin était d’une importance primordiale.

-d’après des modèles vivants (uniquement masculins) qui posaient nus. Pour dessiner des sujets féminins, les élèves devaient se contenter de sculptures en plâtre.

-et en copiant les œuvres du Maître.

Seuls les élèves les plus talentueux préparaient le concours du Prix de Rome.

Le concours du prix de Rome

Le concours était ouvert à tout concurrent de sexe masculin (les femmes n’obtiendront le droit de concourir qu’en 1903), célibataire, âgé de moins de trente ans, et déjà admis à l’École des Beaux-Arts.

Il se déroulait sur quelques semaines et en trois étapes correspondant à trois épreuves successives.

1-Durant la première épreuve, les candidats (une centaine) devaient réaliser, en douze heures, une esquisse peinte à l’huile (format 32,5 x 40,5 cm) dont le thème était toujours emprunté à l’histoire biblique ou mythologique.

2-À l’issue de cette épreuve, les sélectionnés (une vingtaine) devaient peindre une étude de nu (format 81 x 65 cm), en quatre sessions de sept heures.

3-La troisième et dernière épreuve, la plus importante, se déroulait en deux phases. Les candidats étaient enfermés dans des cellules individuelles, à l’intérieur de l’école.

Dans un premier temps, sur un sujet historique imposé (antiquité, mythologie, thème biblique), les candidats devaient exécuter, en douze heures, une esquisse de leur composition finale (format 24,5 x 32,5 cm).

Enfin, dans une phase ultime de soixante-douze jours, les élèves travaillaient à leur grande toile (format 113,7 x 146,5 cm). La composition finale ne devait pas différer de l’esquisse initiale conservée par les juges.

Chaque année, le lauréat du premier prix bénéficiait d’un séjour de cinq ans, tous frais payés, dans la villa Médicis à Rome. A son retour en France, il était assuré d’avoir une belle carrière, et de recevoir des commandes officielles.

Quelques élèves de Léon Cogniet ont accédé à une réelle célébrité - certains ont obtenu le Grand Prix de Rome :

-Félix-Joseph Barrias (1822-1907 – Grand Prix de Rome en 1844) – Léon Bonnat (1833-1922) – François Chifflard (1825-1901 – Grand Prix de Rome en 1851) – Alfred Dedreux (1810-60) – Alfred Dehodencq (1822-82) - Augustin Feyen-Perrin (1826-88) – Adolphe Hervier (1818-79) - Jean-Paul Laurens (1838-1921) – Fortuné Layraud (1833-1913 – Grand Prix de Rome en 1863) - Jules Lefebvre (1834-1912 – Grand Prix de Rome en 1861) – Ernest Meissonier (1815-91) – Dominique Papety (1815-49 – Grand Prix de Rome en 1836) – Tony Robert-Fleury (1837-1911).

Parmi ses nombreuses élèves figurait Nélie Jacquemart (1841-1912) qui sut rassembler avec son époux, Edouard André, la prodigieuse collection du musée Jacquemart-André à Paris, et de l’abbaye de Chaalis (Oise).

Conclusion

Dans ces deux petites toiles au charme indéniable, Marie-Amélie a su rendre l’atmosphère romantique et studieuse qui régnait dans cet atelier qu’elle fréquentait assidûment. Elle leur a donné une étonnante et authentique valeur documentaire, par les nombreux petits détails très précis qu’elle a rassemblés. C’est aussi un hommage admiratif à son frère. En regardant attentivement ces deux petites œuvres, nous pouvons, par l’imagination, nous retrouver plongé dans l’atelier d’un peintre officiel, Grand Prix de Rome, au début du règne de Louis-Philippe.  

 

 

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