Étude d’une toile à sujet mythologique, réalisée par un artiste peu connu, Auger Lucas
Attr. à Auger Lucas (1685-1765) : Vénus et l’Amour dans la forge de Vulcain (c. 1720 – Musée des Beaux-Arts d’Orléans). Huile sur toile - 0,81 x 1 m
Ce tableau est un legs de Mlle Denise Lucas. Il est entré dans les collections du musée le 28 mars 1990. Au moment du legs, le tableau était attribué à Louis Jean François Lagrenée (1724-1805). Cette attribution a été remise en question.
Le peintre
L’attribution de ce tableau à Auger Lucas (1685-1765) est encore incertaine. Ce peintre est le petit-fils du portraitiste Robert Levrac-Tournières (1667-1752), auprès de qui il a pu probablement se former, avant d’intégrer l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture. En 1705, il remporte le Grand Prix de Rome pour une peinture d’histoire : « Judith amenée par des soldats dans la tente d’Holopherne ». En 1724, il est reçu académicien, avec son Morceau de Réception : « Acis et Galatée surpris par le Cyclope Polyphème » (château de Versailles).
Après un parcours académique classique, le jeune Lucas se spécialise dans la peinture de scènes allégoriques et mythologiques, parmi lesquelles la série de toiles des quatre saisons, conservée au Musée des Beaux-Arts de Nantes.
Cependant, ce peintre doit son succès à un autre type de production. En effet, il est également connu sous le surnom de « Maître des Carrosses », en référence à son travail dans l'ornementation de panneaux peints fixés sur les carrosses ; les sujets mythologiques sont fréquents.
Cette spécialisation fait que les œuvres de Lucas sont plutôt rares sur le marché de l’art. En effet, les panneaux étaient exposés aux intempéries, et la plupart des voitures du XVIIIe siècle on été détruites. La plus ancienne berline, issue des ateliers de carrosserie parisiens, conservée dans les collections publiques françaises, se trouve au château d’Eu. Elle a été commandée en 1727 pour Jean V de Portugal.
En 1991, un panneau peint a été identifié comme étant le seul élément connu qui ornait le carrosse du couronnement de Louis XVI, détruit en 1794.
Histoire et sujet
Bien que le titre ne le mentionne pas, le thème représenté semble aisément identifiable ; le grand bouclier occupe une telle place qu’il nous met sur la piste. Il s’agit de Vulcain décorant le bouclier d’Énée.
En douze chants, L’Énéide de Virgile fait le récit des épreuves rencontrées par le Troyen Énée (fils d'Anchise, apparenté à la famille royale de Troie), depuis la chute de Troie jusqu’à son installation dans le Latium.
L’Énéide commence par l’arrivée à Carthage des Troyens en fuite. Énée fait à Didon, reine de Carthage, un long récit de la prise et de la destruction de Troie par les Grecs, et lui raconte sa fuite, portant son vieux père Anchise sur ses épaules, et tenant son fils Ascagne par la main. Énée emporte aussi les statues des dieux de la cité, ainsi que le Palladium. Un groupe de Troyens les accompagne dans leur voyage.
Quand les Troyens quittent Carthage, ils se dirigent vers le Latium (région d'Italie centrale, incluant, actuellement, Rome).
Des oracles font comprendre à Latinus, roi des Laurentes (l’un des peuples du Latium), qu'il doit marier sa fille Lavinia à Énée, et non à Turnus, le jeune roi des Rutules (autre peuple du Latium).
Énée sera le fondateur de Lavinium, ville nommée ainsi en référence à sa seconde épouse.
Ainsi éconduit, Turnus, fou de rage, parcourut l’Italie à la recherche d’alliés, puis décida d'attaquer les Troyens. Vénus, voyant la guerre devenue inévitable, demanda à Vulcain, son époux, de forger des armes pour Énée.
Les Rutules commencèrent par assiéger le campement où s'étaient établis les Troyens, sans succès. Après divers épisodes, Turnus propose à Énée de se battre en duel. Ce dernier accepte, et tue Turnus au terme d'un long combat.
Le Chant VIII de L’Énéide relate les préparatifs de la guerre contre Turnus. Il se termine par la description du bouclier forgé par Vulcain. Destiné à Énée pour mener les combats à venir, il est orné de nombreuses scènes de l’histoire future de Rome. La description du bouclier d'Énée est clairement empruntée à celle du Bouclier d’Achille contenue dans L'Iliade.
Vénus offre à Énée les armes forgées par Vulcain.
« Lui (Énée), charmé des présents de la déesse, et fier d’un tel honneur, ne peut en rassasier ses yeux, et les examine l’un après l’autre ; il admire, il tourne entre ses mains, entre ses bras, le casque ombragé d’une terrible aigrette et qui vomit des flammes, l’épée meurtrière, la roide cuirasse d’un airain couleur de sang, […]. Puis il contemple les cuissards polis faits d’argent et d’or forgés deux fois, et la lance, et le bouclier à l’indescriptible contexture.
Sur ce bouclier le dieu du feu, qui n’ignorait pas les oracles et connaissait bien l’avenir, avait gravé l’histoire de l’Italie et les triomphes des Romains. On y lisait toute la race des futurs descendants d’Ascagne, et la longue série de leurs guerres. On y voyait aussi la Louve, qui venait de mettre bas, couchée dans l’antre verdoyant de Mars ; près d’elle, les deux enfants jouaient suspendus autour de ses mamelles, et tétaient leur nourrice sans effroi […]. Non loin de là, il (Vulcain) avait placé aussi Rome et les Sabines enlevées… »
Sur le bouclier, figurent de nombreux évènements liés à l’histoire de l’Italie, de la fondation de Rome par Romulus, à la bataille d'Actium.
« Telles sont les merveilles qu’Énée admire sur le bouclier de Vulcain, don de sa mère. Sans connaître les évènements, il se plaît à en contempler l’image tandis qu’il charge sur ses épaules les glorieuses destinées de ses descendants. »
La fondation de Lavinium, par Énée, est le premier acte de la fondation de Rome. Le deuxième acte sera accompli par son fils Ascagne, qui sera le fondateur d’Albe.
Troisième acte : Rhéa Silvia était une vestale descendante des rois d’Albe. Mars tomba amoureux de la jeune fille et la viola. Elle donna naissance à des jumeaux, Rémus et Romulus. Ce dernier deviendra le fondateur légendaire de Rome, le 21 avril 753 avant notre ère.
Le moment représenté dans le tableau est celui où Vénus vient séduire son époux pour qu’il fabrique des armes destinées à son fils, afin qu’il puisse combattre victorieusement les Rutules et Turnus, et accomplir ainsi son destin.
Description du tableau
Fils de Jupiter et de Junon, Vulcain est le dieu romain du feu, des volcans, de la forge, et le patron des forgerons.
La scène se déroule dans l’antre du dieu, sous le volcan de l’île de Vulcano, une des îles tyrrhéniennes (ou de l’Etna). A l’entrée de la grotte, on devine des petites plantes qui ont poussé dans les anfractuosités du rocher.
Cette toile est très fortement composée selon un axe vertical médian. La moitié droite appartient au monde souterrain de Vulcain, dans sa forge. Quant à Vénus, elle vient du monde extérieur ; dans la partie gauche, la grotte ouvre sur un vaste paysage marin lumineux, domaine où règne Vénus.
A l’horizon, on devine une île (Lipari ?). Les « nuages » que l’on voit hors de la grotte proviennent probablement de la fumée qui s’échappe du volcan.
Les trois personnages principaux, Vulcain, Vénus et son fils Amour, forment un groupe central pyramidal. La base de cette pyramide va de l’aile du fils de Vénus, au pied gauche de Vulcain. Son sommet est occupé par la tête de Vénus.
Assis dans son atelier, Vulcain est en plein travail. Dans sa main gauche, il tient probablement un ciselet pour graver le bronze du bouclier placé devant lui ; dans sa main droite, il serre un petit marteau à ciseler d’orfèvre. En raison de la chaleur de la forge, il est torse nu ; un manteau brun couvre le bas de son corps.
Très séductrice, enjôleuse, Vénus est penchée vers son époux, Elle lui demande de fabriquer des armes pour Énée, son fils adultérin. Le contraste entre les deux corps est saisissant. Celui de Vénus, gracieux, souple, voluptueux, délicatement rosé, entre en opposition avec celui de Vulcain, musclé, rude et bronzé. Un bandeau blanc maintient en arrière les cheveux du dieu.
Un long voile rose satiné flotte au vent, et dévoile le corps de Vénus plus qu’il ne le dissimule. Ce grand drapé est un vrai « morceau de bravoure », le peintre lui a accordé beaucoup d’importance, et l’a traité avec raffinement. Ce voile aérien vient rompre et agrémenter la composition d’ensemble, plutôt sobre, et lui confère une note baroque.
Vénus porte un diadème en or ; une guirlande de perles serpente dans ses cheveux. Une ceinture en or sertie de pierres précieuses maintient tant bien que mal le tissu rose ; un cabochon de rubis en orne la boucle.
Appuyé sur un nuage, le jeune Amour s’apprête à décocher une flèche en direction de Vulcain. Il aide ainsi sa mère dans son entreprise de séduction. Vulcain ne pourra pas résister aux désirs de son épouse, pourtant notoirement infidèle, et acceptera de fabriquer des armes pour Énée. L’empennage de la flèche d’Amour est composé de plumes roses.
Les reflets lumineux du grand bouclier de bronze conduisent le regard vers la droite du tableau, où l’on devine deux aides de Vulcain travaillant à la forge. Vulcain est l’équivalent romain d’Héphaïstos et selon la légende grecque, les noms des trois cyclopes qui servent d'assistants au dieu du feu, sont connus : Acamas, Pyracmon et Adnanos.
Sur la droite, le foyer embrasé constitue une ouverture dans la composition. Sur la table, un pot cylindrique en métal gris contient une dizaine de petits outils (ciselets ?) ; à côté, un marteau est posé, en équilibre. Sous la table, on distingue une cuirasse et un casque d’airain, ainsi qu’un autre marteau plus gros. Cet ensemble d’objets constitue, avec le bouclier, une grande nature morte.
Une autre version du tableau, elle aussi attribuée à Auger Lucas, est conservée au musée Denon de Chalon-sur-Saône. Le cadrage plus large laisse apparaître, à gauche, trois petits amours jouant avec des colombes ; ils sont rassemblés autour de ce qui semble âtre le char de Vénus.
Ce tableau évoque avec grâce un épisode très connu de la légendaire fondation de Rome.
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