Une « Allégorie de l’Amour », par Thomas
Willeboirts, dit Bosschaert (1614-54), au
musée des Beaux-Arts d’Orléans
Par Jean-Louis Gautreau
Thomas Willeboirts, dit Bosschaert (1613/14-54) : Allégorie
de l’Amour (entre 1635-54). 154 x 201 cm
Le musée
des Beaux-Arts d’Orléans possède une grande toile spectaculaire d’un artiste
assez peu connu.
Le peintre
Thomas Willeboirts, dit Bosschaert rejoint l'atelier de Daniel Seghers à Anvers en 1628.
Après huit années d'apprentissage, il devient citoyen de la ville et est admis
à la guilde des peintres en 1636 ou 1637. Il ouvre alors son propre atelier, et
il est amené à coopérer avec plusieurs autres artistes, en particulier Daniel
Seghers, Paul de Vos, Jan Fyt, Jan van den Hoecke, Frans Snyders et Adriaen van
Utrecht. Il collabore également avec Peter-Paul Rubens pour la réalisation
d'une série de peintures mythologiques commandée par Philippe IV d’Espagne pour
la « Torre de la Parada » (un pavillon de chasse dans les environs de
Madrid). La « Tour » était surtout connue pour abriter une grande
collection de peintures mythologiques d'après Ovide, commandées à Rubens en
1636. Le cycle comptait 63 toiles de grands formats, et fut réalisé à Anvers
d'après des ébauches de Rubens qui se réserva la réalisation de 14 toiles ;
les autres ont été exécutées par ses collaborateurs habituels.
Entre 1641
et 1647, il travaille pour Frédéric-Henri d’Orange-Nassau (1625-47 - capitaine
et amiral général des Provinces-Unies), puis pour sa veuve, Amélie de
Solms-Braunfels, qui lui commande des travaux pour la décoration de l'Oranjezaal,
pièce principale de la Huis ten Bosch (Palais royal à La Haye). Il travaille
aussi pour d’autres grands collectionneurs.
Il est considéré
comme l’un des meilleurs suiveurs de Van Dick, mais dans le tableau d’Orléans, l’influence
de Rubens prédomine.
Histoire du tableau
Le tableau du
musée d’Orléans a été acquis par Aignan-Thomas Desfriches (1715-1800), en 1753
ou 1755, lors d’un voyage en Hollande. Il était alors attribué à Jan van den
Hoerck (sic – le véritable nom du peintre est Jan van den Hoecke). Un thème
fréquemment traité à cette époque est celui de « L’Amour vainqueur de
tout » qui illustre la devise latine « Omnia vincit Amor ». De
nombreux peintres ont peint des « Amour vainqueur ». Il est difficile
de ne pas penser à la version de Caravage, datée de 1601-02, qui se trouve au
Nationalmuseum de Berlin. Orazio Gentileschi (à Dublin) et Orazio Riminaldi (à
Prague) ont aussi abordé ce sujet.
Pendant
longtemps, la toile d’Orléans a porté un titre erroné : « Le Génie de
la Gloire et des Arts ». Le titre actuel : « Allégorie de
l’Amour » est plus approprié.
C’est
probablement la veuve ou la fille de Desfriches qui a vendu cette toile à M. Auguste
Miron (1769-1847), collectionneur orléanais avisé, ancien membre du Conseil
Général, des manufactures et du commerce. En 1823, le tableau est passé en
vente à Paris et a été acheté pour 265 Francs par M. Hême, Directeur du musée
d’Orléans. Le tableau est alors présenté comme une œuvre de Pierre-Paul Rubens.
Un aspect
de l’histoire de ce tableau est particulièrement intéressant. Les historiens
d’art ont manifestement rencontré de grandes difficultés pour préciser l’auteur
de la toile.
Dans le
livre d’inventaire de 1876, le tableau d’Orléans est enregistré comme étant de
Rubens.
Dans
l’inventaire de 1877, il est seulement « attribué à Rubens », sous un
titre erroné : « Le Génie de la Gloire et des Arts ».
En 1878, le
tableau est attribué à van den Hoerck (sic). Puis, de nouveau, à Rubens et
David Teniers.
En 1991, il
est donné à Willeboirts « Bosschaert ».
En 1995, il
est réattribué à van den Hoecke (l’orthographe du patronyme est rectifiée).
Depuis, l’attribution
à Thomas Willeboirts a été reprise…
et c’est sous ce nom qu’il est présenté actuellement dans les salles du musée.
Nous ne
connaissons pas la date de cette œuvre, mais nous pouvons la situer entre 1635
et 1654. Elle a été nettoyée et restaurée en 1995.
Elle n’est
ressortie des réserves du musée que depuis la rénovation des salles du deuxième
étage, en 2016.
Nombre
d’artistes, célèbres de leur temps, ont été oublié, en raison de l’évolution
des modes. Ils n’ont été remis à leur place qu’à partir de la fin du XIXe
siècle.
Alessandro Botticelli a été redécouvert par les peintres
préraphaélites dans la seconde moitié du 19e s., Le Greco a été redécouvert vers 1890, Johannes Vermeer, en 1898, Georges de la Tour, en 1915, et l’œuvre
de Lubin Baugin n’a été reconstituée
qu’à partir de 1963. Les toiles d’Artemisia
Gentileschi étaient passées de mode aux XVIIIe et XIXe
siècles. Depuis le début du XXe siècle, on assiste à la redécouverte de l’œuvre
d’une artiste qui a été célébrissime en son temps.
Quand le fil
a été rompu, il est difficile, deux ou trois siècles plus tard, de reconstituer
l’œuvre d’artistes qui ont pourtant été très célèbres.
De plus, avant le XIXe siècle, peu de peintres signaient leurs œuvres.
Les
historiens d’art se trouvent alors confrontés à des peintres suiveurs ou
imitateurs d’un artiste de renom, dont les œuvres sont parfois difficiles à distinguer
de celles du maître. Les difficultés augmentent quand on soupçonne
l’intervention d’un collaborateur spécialisé qui aurait été chargé de certaines
parties de la toile (paysage, animaux, fleurs, etc.), comme cela était fréquent
dans les pays du nord au XVIIe siècle.
Description
La scène se
passe au sommet d’une proéminence dominant un paysage d’où émerge le clocher
d’une église.
Amour-Cupidon, sous l’aspect d’un bel adolescent, est assis à l’ombre d’un
arbre, appuyé contre le tronc fortement incliné. Il a un air méditatif, la
position de son bras et de sa main droite évoque traditionnellement la
mélancolie. Intégralement nu, son sexe est dissimulé par sa jambe droite repliée.
Un tissu rouge, maintenu par un cordon, lui couvre partiellement le dos et les
reins. Ce tissu est purement décoratif. Le cordon maintient aussi le carquois
rempli de flèches. Cupidon semble planter sa flèche dans l’armure qui protégeait
le corps d’un homme ; à moins qu’il ne la destine au spectateur qu’il
regarde.
Une armure de
belle qualité a été jetée sur un tambour d’ordonnance (tambour militaire
servant à communiquer les ordres sur le champ de bataille), elle est doublée de
velours rouge. Cette armure est étrange, les cuissots (parties couvrant les
cuisses) sont écartés, et la doublure rouge les font ressembler à la gueule
ouverte d’un monstre menaçant et inquiétant… Le gantelet et le heaume de cette
armure sont sur le sol, en bas à droite.
La partie
supérieure d’une autre armure (plastron, épaulière, brassard, braconnière),
damasquinée d’or et bordée de velours rouge, est appuyée contre le tambour. Un
tissu rouge est noué autour du brassard gauche. L’alternance entre les bandes
d’acier poli, et les bandes damasquinées d’or rend cette armure plus précieuse.
Cet or peut
aussi évoquer le luxe, donc la richesse, le tableau pouvant alors être perçu
comme une « Vanité ».
Dans la
partie gauche, divers objets sont accumulés, des instruments de musique, une
partition, les outils d’un peintre, etc.
Au dos de
la toile, figurent deux cachets de cire portant des armoiries, surmontées d’une
couronne comtale, non identifiées.
Dans cette
toile on perçoit l’influence de Rubens. Il est aussi possible que certaines
parties du tableau soient dues à la main d’autres artistes, collaborateurs de
Willeboirts.
La symbolique
Ce thème
traditionnel illustre l’emprise de l’amour sur les activités humaines, même les
plus nobles : la guerre, et les arts.
Les armures
et le tambour d’ordonnance évoquent la gloire militaire.
La Musique est illustrée par le tambour de
basque (tambourin), le luth et un livret de partitions, posé sur le tambourin.
On peut aussi deviner une harpe.
La palette,
des pinceaux et le petit portrait d’une jeune femme, symbolisent la Peinture.
La Sculpture est évoquée par une statuette.
Le livre
fermé fait penser à la poésie ou à la
littérature.
A
l’arrière-plan, le globe rappelle l’omniprésence de l’empire de l’amour sur
Terre.
L’accumulation
d’objets rappelle les vanités très en vogue au XVIIe siècle, dans
les pays du nord.
Composition - lumière - couleurs
A droite,
on découvre le corps puissant du personnage. Rassemblés à gauche, des objets, évoquant
les arts, équilibrent la composition. Au centre, sont regroupés les objets guerriers :
les armures aux reflets métalliques, et le tambour.
Pour animer
la composition, l’artiste a utilisé une solution courante : les lignes
obliques. Le torse de Cupidon est incliné vers la gauche, cette orientation est
soulignée par le tronc de l’arbre, par le cuissot de l’armure et par le luth.
La composition est stabilisée par la grande horizontale marquée par l’armure
renversée sur le tambour.
La scène se
déroule par une chaude journée d’été. Le tableau lumineux est très coloré. Le
corps ensoleillé de Cupidon attire le regard. La plus belle des deux armures
est au centre de la composition. Ses parties brillantes sont rehaussées par l’or
des damasquineries.
Le peintre
a joué avec les couleurs : le vert du paysage et du feuillage ; le
ciel bleu est légèrement nuageux, mais à droite on devine la menace d’un
orage ; les jaunes et les ocres de divers objets. La composition est
animée et rythmée par des taches rouges : le tissu porté par Amour, le
velours intérieur de la grande cuirasse et les bordures de l’autre, le tissu
noué autour du brassard, et enfin ce qui semble être le pied d’une harpe.
L’œuvre la
plus proche de la version d’Orléans est visible au National Museum de Stockholm : « L’Amour vainqueur parmi les emblèmes de l’art ». La
composition d’ensemble est inversée.
Thomas Willeboirts Bosschaert (1613-14-1654) et Paul de Vos (1591-1678) : L’Amour
triomphant parmi les emblèmes de l’art (1645-1650 - Stockholm,
Nationalmuseum). 169 x 242 cm
Photo : Didier Rykner – reproduite avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Photo : Didier Rykner – reproduite avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Par son
histoire, par les difficultés que les historiens d’art ont rencontrées pour
tenter d’identifier son auteur, par ses qualités propres, cette toile m’a paru
très intéressante, d’autant qu’elle a fait partie des collections
d’Aignan-Thomas Desfriches, éminente personnalité orléanaise, et grand
collectionneur.
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