Un magnifique portrait d’homme, attribué à
Jacopo Robusti, dit Il Tintoretto (1519-1594)
Par
Jean-Louis Gautreau
Jacopo
Robusti, dit Il
Tintoretto ou Le Tintoret - Attribué
à (1519-94) : Portrait d’un vieil homme
barbu (vers 1580 – musée des Beaux-Arts d’Orléans).
1,02 x 0,84 m.
Photo François Lauginie
Après avoir
eu pour titre, Portrait d'un Vénitien, un autre plus neutre est maintenant attribué à ce portrait : "Portrait d’un vieil homme barbu". Cependant, Le Tintoret étant natif de
Venise et ayant toujours travaillé dans cette ville, rien ne s’oppose à ce que le
personnage représenté soit un patricien de cette ville.
Provenance – Les Marcille, une
grande famille orléanaise
Cette belle
toile a appartenu à Martial François
Marcille (1790-1856), grand collectionneur du XIXe siècle d’origine
orléanaise.
En 1822, il
quitte une situation florissante de grainetier, et s’installe à Paris, pour se
consacrer à sa passion, la peinture. Il rencontre le Dr Louis La Caze (célèbre collectionneur
qui légua 583 tableaux au musée du Louvre en 1869) qui deviendra un ami très
proche. Ensemble, ils suivent les ventes et courent les brocantes pour découvrir
des œuvres.
Il
fréquente les musées et les galeries, copie les tableaux et commence à acquérir
des œuvres d’artistes du XVIIIe siècle, un peu tombés dans l’oubli : Jean-Baptiste
Greuze, Jean-Honoré Fragonard, Jean Siméon Chardin, etc.
Il avait
réuni près de 4 600 tableaux dont 30 Chardin, 40 Boucher, 18 Quentin de La Tour, 15 Perronneau, 25
Fragonard, etc. Il appréciait aussi beaucoup l’œuvre de Prud’hon.
A sa mort
en 1856, une partie de sa collection fut partagée entre ses deux fils : Eudoxe (1814-1890) qui deviendra directeur du musée des Beaux-Arts d’Orléans
de 1870 à 1890, et Camille (1816-1875)
qui dirigera le musée de Chartres. Ils devaient probablement en partie leur
nomination au fait qu’ils possédaient l’un et l’autre une importante collection
de peintures après la mort de leur père.
L’autre
partie de la collection fut dispersée aux enchères en 1857, au cours de
plusieurs ventes qui firent grand bruit.
Le tableau
de Tintoret se retrouve dans la collection de Camille. Après sa mort en 1875,
une partie de la collection est mise en vente. Les œuvres mises en vente sont
publiées dans le « Catalogue de tableaux et dessins de feu M. Camille
Marcille ».
La 1ère
vente a lieu les lundi 6 et mardi 7 mars 1876 ; la 2e vente,
les mercredi 8 et jeudi 9 mars 1876.
Le tableau
a été acheté le 8 mars 1876 par son frère, Eudoxe Marcille, directeur du musée
d’Orléans, lors de la vente aux enchères à l’Hôtel Drouot, afin d’enrichir les
collections du musée, pour la somme de 294,10 F.
Le peintre
Jacopo
Robusti, dit Le
Tintoret, (né le 29 septembre 1518 à Venise
- mort à Venise le 31 mai 1594) est l’un des
trois plus importants peintres de la Renaissance vénitienne (avec Titien et Véronèse).
Son vrai
nom était Jacopo Comin (son identité a été révélée
lors de l'exposition Tintoretto, en 2007, au Prado). Il doit son surnom, « Il
Tintoretto » - qui signifie « le petit teinturier » - à son
père, Battista Robusti, qui travaillait dans une teinturerie. Élève de Titien,
il est réputé pour avoir dépassé son professeur dans la maîtrise des couleurs
et des ombres, et du rendu de la matière ; Jacopo ne reste que quelques
mois chez Titien.
Il avait
une grande admiration pour Michel-Ange qui l’a influencé. Le Tintoret avait une
passion pour les effets de lumière.
Les œuvres
les plus connues de Tintoretto sont une série de peintures de scènes de la vie
de Jésus et de la Vierge Marie dans la Scuola Grande de San Rocco de Venise, dont il est nommé
décorateur officiel en 1564.
Après
l'incendie du Palais des Doges en 1577, le Tintoret reçut la commande du
« Paradis », une immense
toile (9,90 x 24,50 m)
devant orner la salle du Grand Conseil, qu'il réalisa in situ avec son
fils Domenico et son atelier (1588).
Étude du tableau
La composition est simple, mais efficace. Le
personnage, probablement un patricien vénitien, est montré dans une posture
naturelle. Il est assis, de trois-quarts face ; sa main gauche est appuyée
sur l’accotoir d’un fauteuil, la droite est posée sur son manteau violet foncé.
Avec le temps, le manteau est devenu presque noir. L’homme se détache sur un
fond sombre presque uni.
La source lumineuse unique semble venir d’un point
surélevé dans l’axe médian du tableau. Les seules zones éclairées et
travaillées sont le visage, et les mains fines et racées. Ces trois zones
obligent le regard du spectateur à parcourir la surface de la toile. Le visage
est la partie la plus violemment éclairée. La deuxième zone qui attire notre
regard est la main gauche qui se trouve sur le même axe vertical que le visage.
Cette main est moins éclairée que le visage, mais une tache de lumière éclaire
le poignet. L’éclairage décroit sur sa main droite (à gauche). Enfin les
fourrures sont plus discrètes. Le manteau sombre est là pour faire ressortir
les parties éclairées. On devine à peine l’accotoir du fauteuil et le dossier.
Comme
l’éclairage du personnage est très contrasté, on peut parler de clair obscur,
or les dates permettent d’exclure l’influence du Caravage (1571-1610). Cette
toile illustre donc le fait que si Le Caravage a répandu la pratique du
clair-obscur, il n’en est pas l’inventeur.
Les trois parties les plus
importantes du corps,
le visage (et le regard), et les deux mains, sont aussi les plus soigneusement
peintes. Ce sont les parties les plus expressives et significatives car elles
expriment la personnalité et la qualité du sujet représenté.
Dans ce
portrait, l’artiste a déployé son immense talent pour peindre le visage avec
une grande sensibilité et une réelle virtuosité. Il est parfaitement centré
dans le tiers supérieur de la toile. Il n’est pas idéalisé, il semble réaliste et
naturel. Le peintre prouve aussi sa parfaite connaissance de l’anatomie ;
la morphologie de ce visage est très structurée.
Le front
ample, haut et largement dégagé (très dégarni) semble révéler l’intelligence,
la culture et l’autorité naturelle de cet homme, à la présence imposante et
noble. Une zone très lumineuse au centre du front en accentue le volume
arrondi. L’homme regarde vers la gauche ; ses yeux baissés laissent penser
qu’il est plongé dans une réflexion intérieure, une profonde méditation. Nous
ressentons la densité du personnage ; sa forte carrure, presque monumentale,
donne une impression d’assurance et de force intérieure, mais l’expression du
visage exprime sa grande humanité. Celle d’un homme cultivé qui a eu des
responsabilités, et qui les a assumées avec sagesse et fermeté.
Peut-être
l’homme est-il aussi fatigué par les épreuves et les désillusions...
Ce beau
visage porte les stigmates de l’âge et du temps : les rides, les cernes et
les poches sous les yeux bleu-gris foncé, le rosé des pommettes. Au niveau des
tempes, on devine la transparence et la finesse de la peau sous laquelle les
veines semblent palpiter. Le traitement du pourtour des yeux est étourdissant
de délicatesse et de nuances colorées. Une multitude de petites touches s’entremêlent :
toutes les nuances de rose, la plus intense, un rose carminé, colore les
pommettes ; des beiges, des ocres, des bruns, des reflets peut-être vert
clair, une touche de blanc cassé illumine le haut du front, un ton gris couvre
l’arrière du crâne.
Le nez est
fin et droit. La moustache et la barbe sont fournies mais soigneusement
peignées et entretenues. Les mains, fines et élégantes, ne sont pas très
travaillées. A l’auriculaire de sa main gauche, l’homme porte une bague en or sertie
d’un rubis carré.
Quant au
manteau, il est garni de fourrure sur le devant et le haut des manches. La
partie droite du col de fourrure suit la diagonale du tableau. Les deux larges
pans de fourrure presque dorée forment un triangle qui s’ouvre sur le visage de
l’homme. Vers le bas, ils orientent notre regard vers les mains.
Deux fines lignes
de fourrure en forme de triangle marquent les épaules, et équilibrent la
composition.
Les
poignets d’une chemise blanche dépassent légèrement de l’extrémité des manches
du manteau. La sobre et discrète élégance du vêtement révèle le statut social
élevé de son propriétaire, mais cet homme de qualité n’affiche pas vaniteusement
sa puissance et sa richesse.
La
fourrure, brossée avec vivacité, sans effet particulier, ne détourne pas notre
attention de l’essentiel : la beauté et l’intensité du visage de l’homme
représenté.
Conclusion
J’ai
toujours ressenti une profonde admiration et une certaine émotion devant cette
toile. Ce portrait est traité avec une rare sensibilité, et l’artiste a su rendre
les traits du caractère de son modèle : sa force intérieure et son
humanité.
Dans le Portrait d’Alvise Cornaro par Le
Tintoret (1560-65 – Palazzo Pitti), le modèle a la même posture (inversée) que
celui du musée d’Orléans. Si l’attribution de ce tableau à Jacopo Robusti reste
incertaine, sa qualité picturale est incontestable, et ce magnifique portrait est certainement l’œuvre d’un artiste de grand talent.
Edward
Burne-Jones a écrit : « La seule expression admissible dans un grand
portrait est l'expression du caractère et de la qualité morale, rien de ce qui
est temporaire, éphémère, ou accidentel »
2 commentaires:
Bonjour.
Si vous vous intéressez à la collection Marcille, sachez qu'un site a été lancé sur le sujet par l'un de ses descendants qui a entamé plusieurs projets scientifiques autour de cette collection : http://www.collectionmarcille.com/
Merci pour cette information
En effet c'est un sujet qui m'intéresse
Cordialement
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