Étude comparée d’un tableau de Jean Bardin avec son
esquisse préparatoire
Par
Jean-Louis Gautreau
Jean
Bardin (1732-1809)
: Mars sortant des bras de Vénus pour aller à Troie (vers 1782). 2,39 x 1,78 m. Morceau de Réception
Jean Bardin : Mars voulant sortir des bras de Vénus pour aller à Troie (vers
1782). Etude préparatoire. 0,24 x 0,18 m
Au premier
étage du musée des Beaux-Arts d’Orléans, le thème de l’une des salles récemment
rénovées est « Vers le retour à l’Antique ». C’est dans cette salle
que l’on trouve un tableau imposant de Jean
Bardin (Montbard, 1732 – Orléans, 1809) intitulé : « Mars
sortant des bras de Vénus pour aller à Troie ». Cette huile sur toile est entrée vers 1851 dans les
collections du musée, par don des héritiers du marquis de Lépinière
A côté de
la grande version, on peut observer une belle et délicate étude préparatoire du
tableau, acquise lors d’une vente au Palais Galliera en 1975, pour 9 190F.
Ces deux oeuvres vont nous permettre de comprendre l’évolution de la pensée de
l’artiste.
Le peintre
Jean Bardin est né à Montbard, dans le
département de la Côte-d'Or, le 31 octobre 1732. À l'âge de seize ans, il
rejoint Paris. À dix-neuf ans, il entre dans l'atelier de Louis-Jean-François
Lagrenée, dit l'aîné (1725-1805), puis dans celui de Jean-Baptiste Marie Pierre
(1714-89), premier peintre du roi.
En 1765, il remporte le Grand Prix
de Rome de peinture,
grâce au tableau « Tullia faisant passer son char sur le corps de son
père ».
Il commence
sa carrière comme peintre, et se crée une réputation avec ses tableaux du « Massacre
des Innocents », et de
« L'Enlèvement des Sabines ».
Avant de partir à Rome, il compose différents tableaux. Celui de « Saint
Charles-Borromée donnant la communion aux pestiférés » attire l'attention des connaisseurs.
Il
s'installe à Rome en 1768, emmenant avec lui son jeune élève Jean-Baptiste Regnault
(1754-1829 – futur Grand Prix de Rome en 1776), et y passe quatre années à
perfectionner ses talents et à étudier les grands maîtres de l'École italienne.
Revenu à Paris en 1772, il réalise plusieurs grandes compositions parmi
lesquelles « Sainte Catherine disputant avec les Docteurs ». Ce dernier tableau lui
permet d'obtenir l'agrément à
l'Académie royale de Peinture et Sculpture.
Cette
nomination lui vaut une commande royale, une « Adoration des Mages » (1781) pour la chapelle du château de
Fontainebleau. Ce sera la seule commande royale.
Les procès
verbaux de l’Académie royale de Peinture et Sculpture précisent que le 26
janvier 1782 « Le sieur Bardin, agréé Peintre d’Histoire, a fait apporter
l’esquisse du tableau qui lui a été ordonné pour sa réception ». La réception était la seconde étape
après l’agrément. L’Académie a accepté l’esquisse qui représente « Mars et
Vénus ». Le tableau d’Orléans fut donc exécuté par l’artiste comme « morceau
de Réception » à l’Académie royale, mais cette réception officielle n’eut
jamais lieu.
En 1785,
une réunion d'amateurs qui désirait un artiste pour diriger une école de dessin
qu'ils avaient l'intention d'établir à Orléans, s'adresse à M. Cochin, alors
secrétaire de l'Académie royale de peinture. Ce dernier sollicite Jean Bardin
pour occuper la place de directeur de cette nouvelle école.
Jean Bardin occupe une place à part dans
l’histoire des arts à Orléans. Il fut nommé premier directeur et professeur de
la première école gratuite de dessin d’Orléans, fondée par Aignan-Thomas
Desfriches et le comte de Bizemont, en 1786. Le peintre est arrivé dans la cité
au mois d'avril 1786. Sa fille qui était aussi une de ses élèves, enseignera
dans cette école.
En 1799, il
fut nommé conservateur du Muséum d’Orléans, qui a précédé l’actuel musée des
Beaux-Arts, par un arrêté de l’administration départementale du 17 prairial an
VII (5 juin 1799). Jean Bardin a participé à l’inventaire des tableaux et
œuvres d’art saisis pendant la Révolution.
Sous le Premier
Empire, Jean Bardin sera pensionnaire de l'Empereur par décret du 8 juillet
1806.
Le sujet
Le sujet du
tableau relate un épisode secondaire de la guerre de Troie. Cette guerre a pour
origine l’enlèvement d’Hélène, fille de Jupiter et épouse de Ménélas (roi de
Sparte), par Pâris, fils du roi de Troie.
Vénus,
épouse de Vulcain, était notoirement infidèle. L’un de ses amants était Mars (dieu
de la guerre). Plus tard, Vulcain les surprendra en flagrant délit, devant
l’assemblée des dieux.
Dans le
tableau, le peintre a choisi de représenter le moment où Mars quitte Vénus pour
aller combattre au côté des Troyens. Ascalaphus (le fils de Mars) qui
commandait les Béotiens au siège de Troie, ayant été tué, Mars courut le venger
lui-même. Malgré l’ordre de Jupiter qui avait défendu aux dieux de prendre
parti pour ou contre les Troyens, Mars a soutenu ces derniers, ce qui n’a pas
empêché leur défaite.
Description
De par son
thème et sa facture, cette toile peut se rattacher au néoclassicisme.
Cependant, un élève de Bardin, Jacques-Louis David (1748-1825), en précisera
plus tard les règles.
On
reconnaît quatre personnages : Mars, Vénus, son fils Amour (Eros ou Cupidon)
et un autre petit amour. Mars occupe l’axe vertical central de la toile. Le
héros vient visiblement de quitter la couche de Vénus ; pour seuls
vêtements, il porte un casque surmonté d’un griffon, et un manteau rouge jeté
sur son épaule gauche. Le glaive - que lui tend Amour - et son baudrier doré,
lui servent de cache-sexe. Le tableau est visiblement le prétexte à un glorieux
nu masculin frontal. De sa main gauche, Mars désigne la ville de Troie en
flammes ; il doit s’y rendre pour accomplir son devoir. Son attitude est clairement
inspirée de l’Apollon du Belvédère.
Vénus,
dénudée, lascivement penchée vers son amant, tente de le retenir en saisissant une
lanière qu’il porte en travers de sa poitrine. Un drap masque son sexe, mais
révèle l’ensemble de son corps aux courbes sinueuses. Elle est assise sur les
coussins qui recouvrent son char. A droite, le jeune Amour, son fils, est vu de
profil. Il tend son glaive à Mars, et l’incite fermement à partir au combat. Il
porte un casque emplumé, et un tissu bleu noué en bandoulière. A ses pieds, on
devine les autres armes de Mars, son bouclier, sa lance et son armure.
A gauche,
en retrait dans l’ombre, un autre petit amour plus enfantin, son arc à la main,
semble effrayé. Une colombe blanche s’envole. Il symbolise peut-être l’amour
impuissant à retenir l’amant et la paix.
Un détail
surprenant est plus nettement perceptible dans l’esquisse : les draps de
Vénus sont bleu et blanc, et le manteau de Mars est rouge. Quand au plumet qui orne le
casque d’Amour, il est aussi tricolore… Pourtant nous ne sommes pas encore en
1789.
La lumière
provient de la partie supérieure gauche de la scène.
Le tableau
présente plusieurs variantes par
rapport à l’esquisse. La plus importante concerne le jeune Amour. Dans
l’esquisse, Amour, petit enfant au corps potelé, est vu de dos ; il tire
sur le manteau de Mars pour l’inciter à prendre ses armes amoncelées à droite.
Ce mouvement vers la droite distrait le regard du groupe central.
Dans le
grand tableau, Amour paraît nettement plus âgé que dans l’esquisse. Vu de
profil, le jeune adolescent est tourné vers Mars, et lui tend son glaive
d’un geste impérieux. Ainsi, il contribue à attirer notre attention sur Mars.
Les corps de Vénus et de son fils, placés de part et d’autre de Mars, dessinent
nettement une composition pyramidale, et le casque au griffon en occupe le
sommet. Cette modification de la composition (l’attitude d’Amour) a entraîné un
allongement du format du tableau, et la disparition presque complète de l’incendie
de la ville de Troie.
Un détail
amusant. Dans l’esquisse, l’aile gauche d’Amour sert de cache-sexe au
héros ; cette fonction est remplacée par un glaive dans le grand tableau,
ce qui est beaucoup plus martial.
Autre
détail : les armes de Mars sont disposées différemment dans les deux
états, et l’armure à dominante bleue dans le modello, est devenue rouge dans la
toile définitive.
1-Dans le
tableau, l’attitude d’Amour est plus
énergique.
2-Dans le
tableau, la main gauche de Mars est
ouverte, son geste semble plus ferme que dans l’esquisse. Malgré tout, son
regard exprime son regret de devoir quitter Vénus.
3-Dans le
tableau, Vénus agrippe la lanière qui
barre le torse de Mars, alors que dans l’esquisse, elle semble simplement
caresser son flanc. Ces trois modifications accentuent la dynamique de la
scène : Vénus tente de retenir son amant en l’implorant : « Reste
encore un peu... ». Mais Mars lui signifie son devoir de la quitter :
« Désolé, il faut vraiment que j’y aille ! », et Amour
intervient en lui tendant son glaive : « Allez, dépêche-toi, ils
t’attendent ! ».
La draperie
qui couvre le bas du corps de Vénus a été modifiée. Dans la version finale,
l’artiste a accentué le côté érotique de la scène en découvrant complètement la
hanche droite de la déesse. Si cette option a une fonction esthétique
puisqu’elle met en valeur les courbes élégantes et avenantes du corps de Vénus,
elle a aussi une intention érotique et elle illustre l’effort du héros qui
résiste aux attraits de sa maîtresse pour aller combattre. Les courbes du corps
de Vénus contrastent avec la verticalité du corps de son amant.
Il est
toujours passionnant de comparer le modello (et les dessins préparatoires) avec
l’œuvre finale, il est ainsi possible de suivre la réflexion de l’artiste qui a
toujours plusieurs options à sa disposition et qui choisit celle qui, selon
lui, est la plus efficace.
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