Une belle « Annonciation » au
musée des Beaux-Arts d’Orléans
Par
Jean-Louis Gautreau
Ecole flamande (fin 15e-début 16e) :
L’Annonciation. Huile/bois - 105 x 78 cm.
Provenance
Ce tableau
provient de l’église St-Michel-de-l’Etape, église qui a été transformée en
théâtre privé au 19e s. ; de ce théâtre, devenu municipal
en 1851, ne subsiste que la façade (intégrée à la façade du nouvel hôtel de
ville), place de l’Etape à Orléans.
L’abbé
François-Edmond Desnoyers (1806-1902), historien local, directeur du musée
historique d’Orléans, et fondateur de la Société archéologique de l’Orléanais en 1848, a fait don de cette
œuvre à la ville d’Orléans en septembre 1882. Elle
a été déposée au musée des Beaux-Arts en 1967.
Cette
« Annonciation » anonyme
est l’un des deux plus anciens tableaux conservés dans les collections du musée
des Beaux-Arts d’Orléans.
L’autre
œuvre, contemporaine de celle-ci, est un tableau de Matteo di Giovanni (1435-95
- école de Sienne) représentant : « La Vierge à l'enfant entre deux anges ». Réalisée sur un panneau de
peuplier vers 1485-90, cette peinture, qui montre malheureusement une certaine
usure, n’est plus exposée dans la nouvelle présentation des collections.
Bien que
contemporains, les deux panneaux appartiennent à deux mondes différents.
« L’Annonciation » est encore le reflet de la fin du monde médiéval
dans les pays du nord, alors que la « Vierge »
illustre la Renaissance
italienne.
Plusieurs versions
Le nom du
peintre n’est pas connu, cependant plusieurs versions, toutes légèrement
différentes, sont exposées dans divers musées : au musée Carnavalet, au musée
national du Moyen Age à Paris, au musée du Berry à Bourges, et au musée des Beaux-Arts de Bordeaux…
Le format
de la version de Bordeaux est plus carré, et de nombreux détails sont
différents : la forme et le décor du vase contenant le lys, le motif
gothique de la fenêtre, le paysage en arrière-plan ; le motif du carrelage
est plus complexe dans le tableau de Bordeaux ; trois coussins au lieu de
deux sont disposés sur la banquette qui est plus longue ; les anges en
procession qui accompagnent l’Archange Gabriel, sont plus nombreux, etc.
Quant à l’enluminure
du livre de Marie, nous en reparlerons.
Quelques informations techniques
Les Maîtres
flamands peignaient exclusivement sur panneaux
de chêne, ce bois étant considéré comme de meilleure qualité.
Les artistes flamands et hollandais peignaient sur des panneaux de chêne, alors
que les Italiens préféraient le peuplier. La toile ne sera utilisée qu’à partir
du XVIe siècle en Italie.
Les planches, de petit format, étaient préparées par
un menuisier. Les panneaux de grandes dimensions s'obtiennent par l'assemblage
de plusieurs planches, chevillées ou à joints vifs ; ils sont consolidés
par des traverses.
Le panneau
était ensuite encollé de plusieurs
couches de colle de peau légère, car plus la colle est légère,
mieux elle pénètre le bois. Puis le panneau est encollé d’une toile de lin
servant à uniformiser le fond et à empêcher le bois de se dilater ou de se
rétracter.
Sur ce
support était ensuite apposées plusieurs couches d’un enduit
composé de plâtre lisse et fin. Cet enduit était appliqué à chaud. Une fois les
couches appliquées et sèches, le support était poncé afin de donner un aspect
lisse.
Une fois le bois correctement préparé, on peut y poser
la couche colorée. L’ébauche était exécutée par un vernis
léger mélangé avec de l’essence. L’esquisse était légère mais aussi précise que
possible. Lorsqu’elle était bien sèche, l’exécution en couleur pouvait se faire.
Les maîtres
flamands ne se servaient que de pinceaux à poils doux (écureuils, putois ou
martre) afin de donner l’aspect lisse comme de l’émail.
Leurs
couleurs étaient plus liquides que celles que l’on trouve aujourd’hui dans le
commerce. Elles étaient surtout très transparentes, alors ils superposaient les
couches les unes sur les autres en laissant sécher un bon moment entre chacune
d’elles.
Le dernière étape, le
vernissage, n’avait pas lieu avant plusieurs mois, voire un an
après l’achèvement de l’œuvre. Le tableau était nettoyé, épousseté et verni par
un temps sec, et placé au soleil. Le vernis était obtenu par du copal dissout
dans de l’huile cuite, ce qui le rendait poisseux et très lent à sécher.
Etude de la composition
La scène se
passe dans la chambre de Marie ; un mobilier et une décoration flamande
médiévale attirent notre attention.
Les deux
personnages principaux sont Marie et l’Archange Gabriel. Ils sont séparés par
une tige fleurie de lys blancs déposée dans un vase orné d’un aigle. Le lys
apporté par Gabriel est une allusion à la virginité de Marie. Deux fleurs sont
ouvertes, ciq autres sont en boutons ; cela fait probablement référence à la Mater Dolorosa,
Notre-Dame-des-sept-douleurs (les sept douleurs subies par Marie en relation
avec des épisodes de la vie de son fils, selon la prophétie de Siméon).
Marie est
agenouillée devant une table sur laquelle est ouvert un livre d’heures
enluminé.
L’archange
ailé, tient l’attribut des anges, une baguette de l’ostiaire (chargé de la
garde du lieu sacré) ; vêtu d‘une robe blanche et d’une riche chape brodée
d’or (à la manière flamande), il apparaît à la Vierge pour lui annoncer
qu’elle mettra au monde le fils de Dieu. De son index gauche, il désigne le
ciel pour indiquer qu’il rapporte la parole de Dieu. Marie, surprise dans sa
lecture, semble sous le coup de l’émotion ; elle suspend sa lecture, mais
ne se retourne pas complètement vers l’archange. Ce dernier n’apparaît pas
seul, il est accompagné d’une procession d’anges provenant de l’angle
supérieur gauche du tableau ; le premier d’entre eux soutient son lourd manteau
brodé. Le battement de leurs ailes semble soulever une poussière d’or traversée
par une lumière de nature divine.
La colombe
de l’Esprit-Saint, entouré d’un halo lumineux circulaire, occupe le centre
supérieur du panneau. Les lumières divines qui accompagnent Gabriel et le
Saint-Esprit, sont complétées par le halo doré qui entoure la tête de la Vierge : ainsi la Trinité est représentée,
avec Jésus, l’enfant à venir.
Remarquons
que les lignes de fuite du carrelage semblent converger vers la colombe.
Une fenêtre
géminée ouvre sur un paysage ; les deux arcades sont ornées de motifs
trilobés, mais les éléments décoratifs qui terminent la partie supérieure de la
baie appartiennent clairement au gothique flamboyant.
La
composition du tableau fonctionne un peu comme une bande dessinée. La scène
principale de l’Annonciation est accompagnée d’une autre scène que l’on
découvre, à l’arrière-plan, par l’ouverture de la fenêtre : la Visitation. Marie
rencontre Elisabeth, sa cousine selon la tradition, qui est enceinte de Jean
que l’on appellera Jean le Baptiste, puisqu’il sera amené, quelques années plus
tard, à baptiser Jésus.
Deux scènes
associées pour deux naissances à venir : deux prophètes dont
l’enseignement va bouleverser la vie du monde connu.
Le mobilier
est encore gothique : un lit à baldaquin recouvert d’un drap vert occupe un
tiers du tableau. Le lit est soigneusement fait, et un oreiller blanc repose
sur un traversin. Il est probable que ces deux derniers détails sont là pour
souligner la virginité de Marie. Deux coussins brodés de lys d’or sont posés
sur.une banquette (peut-être un coffre), couverte d’une pièce de tissu rouge.
Une
remarque rapide sur les couleurs. L’artiste a joué sur les couleurs
complémentaires : le rouge (le
tissu couvrant la banquette et la table), et le vert (le tissu du lit, la tunique du premier ange
accompagnateur, et la robe de la
Vierge).
Que
représente l’enluminure du livre de Marie ?
L’enluminure,
ce détail peu lisible du tableau, est difficile à étudier et à interpréter, cependant,
il est possible que le sujet de cette image illustre le message de Dieu à
Achaz, roi de Juda (Livre du prophète Isaïe, VII, 14-15), selon lequel une
vierge donnera naissance à son fils : « Voici, la vierge concevra et
elle enfantera un fils, et appellera son nom Emmanuel (qui signifie « Dieu
est avec nous »)… (1)
En effet,
l’enluminure montre un homme agenouillé et couronné ( ?) qui semble avoir
une vision : un enfant vêtu de rouge, qui est peut-être le fils à naître.
Dans son
Evangile, Matthieu interprète cet épisode de l’Ancien Testament comme une
préfiguration de la naissance de Jésus. Ce sujet serait en accord avec le thème
du tableau.
Rappelons
en passant que le mot « vierge » (dans le livre d’Isaïe) serait le
résultat d’une erreur de traduction qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours…
J’étais
assez satisfait d’avoir échafaudé cette interprétation, mais un doute
subsistait. Cette histoire était séduisante, mais elle me paraissait trop
complexe, trop inhabituelle. Dans les tableaux religieux, les sujets traités et
les détails sont généralement assez faciles à interpréter. Et en effet, mon
hypothèse était erronée.
Par acquis
de conscience, en août 2017, je suis retourné au musée des Beaux-Arts de
Bordeaux pour prendre une photo de la version bordelaise de l’enluminure de
« l’Annonciation ». En agrandissant la photo de mon appareil
numérique, je suis resté stupéfait : l’enluminure était la même que celle
du tableau d’Orléans (avec de très légers détails différents), mais comme elle
était dans un très bon état de conservation, elle était parfaitement
identifiable ; elle représentait : « Dieu remettant les Tables
de la Loi à Moïse ».
Le doute était enfin levé !
Conclusion
Ce
séduisant panneau de dévotion, soigneusement peint, est intéressant car il illustre
une pratique assez répandue. Comme le sujet semblait plaire, le ou les peintres
ont copié le tableau original qui ne semble pas avoir été identifié, en
introduisant de légères et nombreuses variantes dans chacune des versions.
Enluminure du livre d'Heures de Marie (inversé) - version Orléans
Enluminure du livre d'Heures de Marie (inversé) - version Bordeaux
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