Une toile caravagesque de Mattia Preti au musée
d’Orléans
St Paul et St Antoine, Ermites dans le Désert
Par Jean-Louis Gautreau
Mattia
Preti (Taverna,
1613 - La Valette,
1699) : St Paul et St Antoine, Ermites dans le Désert.
1,79 x 1,25 m. St Antoine d’Egypte
à gauche, St Paul de Thèbes à droite.
Le musée
des Beaux-Arts d’Orléans a consacré une salle aux peintures qui manifestent
l’influence de Michelangelo Merisi da Caravaggio, que nous appelons communément
Le Caravage. Parmi ces peintres caravagesques, ou ayant reçu l’influence du
maître, nous trouvons Antonio de Bellis (nous avons étudié cette toile dans le
bulletin n° 31, 2011), Guido Reni, Annibale Carracci, une importante œuvre de
jeunesse de Diego Rodríguez de Silva y Velázquez, et Mattia Preti qui est représenté par une belle œuvre :
St Paul et St Antoine, Ermites dans le Désert.
Quelle est la provenance de ce tableau ?
Après la
bataille d’Eckmühl, Napoléon entra
dans Vienne en mai 1809. Par le traité de Vienne qui mit un terme à la campagne
autrichienne de Napoléon, la galerie de peinture autrichienne installée au
Palais du Belvédère devait céder un certains nombre de tableaux.
Avant
l’arrivée de Napoléon, Heinrich Füger, directeur de la galerie de peinture
viennoise, avait réussi à envoyer à l'étranger, pour leur sauvegarde, la
majeure partie des toiles les plus précieuses de la collection. Les pièces
restantes étaient considérées comme moins importantes.
Malgré ces
mesures d’évacuation, Dominique-Vivant Denon, directeur du Musée
Napoléon (ce musée deviendra le musée du Louvre), fut capable de
saisir environ 404 peintures de la galerie du Belvédère, pendant l’été 1809.
Les œuvres choisies
par Denon furent emballées dans 63 caisses en bois qui arrivèrent à Paris à la
fin d’octobre. Le tableau de Mattia Preti fit partie de cet envoi, il entra en
1810 au musée Napoléon. Il s’agit donc d’une saisie napoléonienne.
Après la
défaite finale de Napoléon en 1815, commença un long processus de restitution. Curieusement,
lors de ces restitutions, le tableau de Mattia Preti est resté au Louvre (40
autres œuvres n’ont pas été rendues). Le 20 novembre 1872, il est envoyé en
dépôt au musée d’Orléans.
Le peintre
Mattia
Preti (Taverna,
1613 – La Valette,
1699) dit aussi il
Cavaliere Calabrese est un peintre italien de l'école napolitaine, qui a
aussi été très actif à Malte.
Cet peintre
caravagesque, a été extrêmement célèbre à son époque. Il est né dans la petite
ville de Taverna en Calabre, d’où son surnom « Il Calabrese ». On dit
qu’il a fait son apprentissage dans l’atelier du peintre caravagesque Giovanni Battista Caracciolo.
Probablement
avant 1630, Preti rejoignit son frère Gregorio (également peintre), à Rome, où
il devint familier des techniques de Caravage et de son école, ainsi que du
travail de Guercino, Rubens, Reni, et Giovanni Lanfranco.
Vers 1641,
il est fait Chevalier dans l’Ordre de St Jean de Jérusalem, sur la
recommandation du pape Urbain VIII. En 1650-51, il reçoit la commande d’importants
ensembles de fresques à Rome et Modène. Durant les années 1653-1659, il
travailla à Naples, où il fut influencé par l’autre peintre napolitain majeur
de cette époque, Luca Giordano.
Il
s’établit à Malte vers 1659, pour près de quarante ans. Il y travaillera la
majeure partie du reste de sa vie. On trouve des tableaux de Preti dans de
nombreuses églises baroques des villages de Malte, ainsi que dans l’île de
Gozo.
Sur fond de
très beaux clairs-obscurs, il représente les scènes sacrées transposées dans la
vie simple de tous les jours, ramenant ainsi les personnages de la Bible et du Nouveau
Testament à la dimension des humbles.
Son œuvre
la plus célèbre est la décoration de la voûte de la co-cathédrale Saint-Jean, à
La Valette
(actuellement Valletta, capitale de l’île de Malte) qui retrace l’histoire de saint
Jean. Il réalisa gratuitement cet ensemble de fresques, travail considérable
qui dura cinq ans. Il a peint également plusieurs des retables répartis dans les
chapelles latérales.
Grâce à sa
réputation croissante, il reçut des commandes de toute l’Europe.
Le sujet
Saint Antoine
d'Égypte (251- vers
356) est considéré comme le fondateur de
l'érémitisme chrétien. Né en Egypte (Fayyoum) dans une famille Copte d’assez
riches agriculteurs fervents chrétiens, il devient orphelin à dix-huit ans. A
l'âge de vingt ans, il prend l'Évangile
à la lettre, et distribue tous ses biens aux pauvres ; en 285, il part vivre
en ermite en plein désert, imitant les nombreux anachorètes qui vivaient dans
la pauvreté et la chasteté aux alentours des bourgs. Là, il subit les
tentations du Diable, mais Antoine résiste à tout, et ne se laisse pas
détourner par les visions enchanteresses qui se multiplient.
Saint Antoine
s'éloigne davantage pour s'isoler. Il va en Thébaïde (région de Thèbes) où il est vénéré
par de nombreux visiteurs, pour ses conseils de sagesse.
A l’âge de
90 ans, St Antoine apprend, par révélation pendant son sommeil, qu’il y a dans
le désert un moine plus parfait que lui. Aussitôt, il se met en marche. Il
rencontre un loup qui le conduit à la cellule où saint Paul de Thèbes, premier ermite, s’était retiré, il y avait
environ 60 ans. Mais Antoine trouve la porte fermée.
Paul ne veut voir aucun être humain. Enfin, Paul cède à l’insistance d’Antoine,
et les deux ermites tombent dans les bras l’un de l’autre, et s’entretiennent
des choses de Dieu. Quand l’heure du repas arriva, un corbeau apporta une
double ration de pain ; il pourvoyait habituellement à la
subsistance de Paul. Ce dernier mourut peu de temps après le départ d'Antoine
(vers l’an 340).
Les reliques
de saint Antoine sont conservées dans l’église abbatiale de la belle Abbaye de St Antoine, à
St-Antoine-l’Abbaye (près de Saint-Romans, Isère).
Etude de la toile
Le tableau
décrit un moment précis de la rencontre entre Antoine et Paul. Paul a accepté de
recevoir Antoine, ils ont certainement déjà échangé quelques propos et ont pris
conscience de la convergence de leurs méditations, et de leurs recherches
spirituelles. Tous deux lèvent les yeux vers cette violente lumière qui les
éclaire et les éblouit. Devant cette lumière qui est certainement d’essence
divine, les deux hommes, les bras écartés, manifestent leur surprise, leur
admiration, et semblent en contemplation, en extase, devant une vision céleste
qu’ils partagent.
Dans
l’angle supérieur droit, un corbeau apparaît dans la seule ouverture sur le
ciel. Perché sur une branche de l’arbre dont on devine le tronc derrière les
têtes des deux saints, il tient en son bec une miche de pain qu’il leur destine.
Paul (à
droite) vu de trois-quarts arrière, est
assis ; partiellement dénudé, il semble porter, selon la tradition, une tunique
faite de feuilles de palmier tressées par lui-même. Son corps légèrement
décharné évoque sa vie ascétique. Face à lui, Antoine, vêtu d’une simple bure noire,
lève les yeux et les mains vers le ciel. Les pieds nus des deux hommes sont
salis par la marche. Les deux saints ne sont pas idéalisés, les visages sont
certainement peints d’après un modèle vivant ; il est même possible que ce
soit le même modèle, vu sous deux angles différents.
La gamme
chromatique est très réduite. L’ensemble de la toile est traitée dans un
camaïeu de bruns et d’ocres, en accord avec l’austérité du sujet. L’aspect doré
du vêtement de Paul en feuilles séchées et tressées est souligné par un tissu
« blanc » qui couvre le haut de sa cuisse. Chaque détail rappelle la
vie rustique que mènent les deux hommes.
L’organisation des éléments éclairés
est très intéressante.
C’est une
toile typiquement caravagesque, caractérisée par de violents contrastes de
lumière. Les parties dénudées des corps - les visages, les mains, les jambes et
les pieds - sont violemment éclairées.
Ce qui m’a
toujours fasciné dans ce tableau, c’est le fait que ces zones éclairées
constituent un réseau de lignes agencées de façon très géométrique. Si l’on
relie le visage de saint Antoine et ses deux mains, on obtient aisément un
triangle isocèle, et le plus long côté du triangle passe par la tête de Paul.
Un première grande oblique est marquée par le bras gauche de Paul ; mais elle
part de la main gauche d’Antoine et se prolonge jusqu’à la main gauche de Paul.
Une seconde oblique, parallèle à la première, suit la cuisse gauche de Paul et
se poursuit jusqu’au pied droit d’Antoine. Une oblique, perpendiculaire aux
deux premières relie la main gauche de Paul et sa cheville gauche, en passant
par sa jambe. Une dernière petite oblique est indiquée par son pied gauche. Ce
jeu de lignes perpendiculaires en zigzag est tout à fait étonnant, et il oblige
l’œil du spectateur à parcourir toute la surface de la toile.
Il serait
probablement possible d’affiner la recherche sur la composition remarquable de
cette toile.
Chaque fois
que je passe devant ce tableau, je m’arrête quelques instants pour le
contempler. Les raisons sont diverses : même si les circonstances de sa
présence à Orléans sont discutables, son histoire et sa provenance prestigieuse
présentent un intérêt majeur ; mais aussi le fait que cette œuvre typiquement
caravagesque soit illustrée par ces spectaculaires zones de lumière qui structurent
la toile avec une vigueur, une rigueur et une sobriété exceptionnelles. Quel
talent !
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